GOUVERNEMENT ET GÉNOCIDE

Si l'on étudie les sociétés selon le double vecteur de la vie et de la mort, on découvre qu'on peut les regrouper en huit grandes catégories, que nous situons dans un cadre défini par leur nature politique plutôt que culturelle.

Les définitions suivantes doivent être considérées comme de grandes tendances, et non comme des catégories rigides.

Les sociétés génocidaires. L' État tue les citoyens arbitrairement, pour des raisons de déviance ou de dissidence. La nuance entre une société génocidaire et les autres sociétés est qualitative : les régimes génocidaires sont les seuls qui tuent systématiquement.

Les sociétés pratiquant la déportation ou l'incarcération. L' État isole les individus qu'il juge gênants, pour empêcher toute interaction avec le corps politique, voire le reste de la communauté.

Les sociétés tortionnaires. Les personnes considérées comme des ennemis de l'État sont torturés à la limite de la mort et autorisées à réintégrer la société comme des exemples vivants de ce qui attend tout dissident potentiel.

Les sociétés de harcèlement. Tout ceux que l'on soupçonne d'une quelconque déviance idéologique sont constamment arrêtés, fouillés, enlevés ou détenus pour des raisons arbitraires qui n'ont rien à voir avec les causes véritables, les possibilités qu'offre le droit de harceler les individus en toute légalité étant quasiment infinies.

Ces quatre grandes catégories partagent toutes le harcèlement physique et moral à divers degrés de tous ceux qui ne suivent pas la ligne idéologique du régime en place, depuis des inculpations pour non-paiement d'impôts à l'élimination pure et simple. Afin d'éviter une dilution de ces différentes catégories, il importe de rappeler que les persécutions génocidaires ont un aspect physique et qu'elles ne se contentent pas de menaces symboliques.

On trouve quatre autres catégories de sociétés qui pratiquent des méthodes que l'on pourrait qualifier de symboliques ou non coercitives, pour s'assurer l'allégeance et l'adhésion de leurs citoyens.

Les sociétés traditionnelles de la honte s'assurent l'assentiment de la collectivité en faisant en sorte que l'individu qui ne se conforme pas à la vision normative soit en butte à la désapprobation collective, qui a souvent un effet d'exclusion.

Les sociétés culpabilisantes ressemblent aux précédentes, à cela près que l'individu intériorise le sentiment de honte et de culpabilité et se conforme ainsi aux exigences normatives de son environnement.

Les sociétés tolérantes où l'on observe, comme dans de nombreuses démocraties occidentales, une interaction et une perception claires des normes sociales, lesquelles ne sanctionnent pas les comportements non conformistes, qui sont perçus comme des possibilités au sein d'un vaste monisme.

Les sociétés permissives où les normes sont remises en question et où les codes régissant la vie de la communauté, loin d'être des définitions stables d'un comportement normatif, sont revus chaque fois que cela semble nécessaire. Le processus de transformation sociale peut lui aussi subir des modifications ; ces changements n'entraînent pas pour ceux qui les vivent une perte de statut au sein de la société.

Ces catégories ne recouvrent pas les génocides dus à la colonisation ou des interventions dans des pays étrangers. C'est ici que nous trouvons des contradictions entre les règles nationales et les comportements extérieurs de certaines démocraties occidentales, qui se sont rendues coupables de l'extermination de peuples indigènes tout entiers : le massacre des Zoulous par les Britanniques ; l'extermination quasi totale des tribus indiennes d'Amérique par les premiers colonisateurs ; l'appauvrissement extrême des peuples de l'ancien Congo belge. Ce sont là des génocides perpétrés contre des peuples étrangers.

Presque toutes les sociétés réunissent à des degrés divers des éléments relevant chacune de ces huit catégories. Il s'agit dès lors de définir, par une approche analytique les caractéristiques principales du système sociopolitique en question et de déterminer le moment où le quantitatif cède le pas au qualitatif, où le nombre de personnes chargées par l'État d'un rôle répressif finit par modifier la nature même de cet État.

Irving Louis Horowitz. Le livre noir de l'humanité. Encyclopédie mondiale des génocides. Éditions Privat. 2001.

Sources et indications bibliographiques. Horowitz, Irving Louis (1997), Taking Lives : Genocide and State Power, 4éd. revue et aug., Nouveau-Brunswick, NJ, Transaction Publishers.

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