NÉGATION DE LA SHOAH
Le révisionnisme historique qui s'attache à nier la Shoah, constitue la perversion intellectuelle la plus monstrueuse du XXe siècle, la plus sadique et la plus malhonnête. Ses représentants maintiennent qu'ils peuvent prouver que l'extermination nazie systématique de 5 à 6 millions de Juifs n'a tout simplement jamais eu lieu. Le nazisme, selon eux, n'a jamais revêtu une dimension génocidaire. Au contraire : l'idée d'un Holocauste perpétré par le IIIe Reich est une énorme machination, inventée pour des raisons de propagande par les ennemis politico-militaires de l'Allemagne, alliés sur ce point à une conspiration juive internationale, pendant et après la Seconde Guerre mondiale.
Paul Rassinier
Le premier à avancer semblables insanités fut sans doute Paul Rassinier, ancien membre du parti communiste devenu un anticommuniste virulent et un apologiste du nazisme. En 1948, il publiait Le Passage de la ligne, qui allait avoir une grande influence. Sa thèse se réduit à une dualité simpliste : tout ce dont on accuse les nazis dérive de la tendance naturelle à l'exagération de la part de ses victimes ; dans la mesure où des atrocités auraient vraiment été perpétrées dans les camps nazis, elles seraient moins le fait des nazis que des victimes elles-mêmes, auxquelles, selon Rassinier, les gardes SS auraient confié des responsabilités.
Harry Elmer Barnes
Les théories de Rassinier furent reprises par des personnalités pronazies et antisémites aux États-Unis, tels que le publiciste chrétien évangéliste W.D.Herrstrom, l'éditeur militant de la suprématie blanche James Madole, des nationaux socialistes comme George Lincoln Rockwell et Gerald L.K Smith, et l'éminent historien de Smith College, Harry Elmer Barnes. Ce dernier, qui en 1947 publia The Struggle Against Historical Blackout (La lutte contre le black-out historique), apporta le cadre idéologique et théorique à l'intérieur duquel Rassinier, Herrstrom et d'autres de leur acabit pouvaient espérer prétendre à une crédibilité scientifique marginale.
A la fin des années 1950, le champ du négationnisme pouvait se targuer d'avoir un spécialiste universitaire, Austin J. App, professeur de littérature anglaise à l'université de Scranton puis à LaSalle College. App choisit d'insérer la logique négationniste de Rassinier dans un contexte qui se voulait scientifique, et d'utiliser des statistiques démographiques européennes d'avant-guerre et d'après-guerre pour démontrer que l'estimation habituelle de six millions de victimes juives était exagérément grossie et donc contestable.
Pendant la seconde moitié des années 1960 et dans les années 1970, le travail scientifique d'App fit des adeptes dans l'extrême droite américaine et inspira des courants analogues en Europe. l'année 1969 vit la publication anonyme aux États-Unis de The Myth of the six Million (Le mythe des six millions), dont l'auteur était en fait un professeur d'histoire formé à Harvard, David Leslie Hoggan. L'ouvrage était publié par Willis Carto, fondateur du Liberty Lobby néonazi et propriétaire de Noontide Press, une maison d'édition fasciste. L'introduction était de E.Anderso, qui collaborait à une revue publiée par Carto, American Mercury. Au Royaume-Uni, Richard Verrall (aussi connu sous le nom de Richard Harwood), dirigeant du Front national britannique et éditeur d'un journal néonazi, publia en 1974 un pamphlet intitulé Did Six Million Really Die ? (Y eut-il vraiment six millions de morts ?).
William David McCalden.
L'Institut pour la révision historique(IHR)
En 1978, les divers fils internationaux du négationnisme commencèrent à se croiser et à s'unir sous l'égide de l'Institute for Historical Review (l'Institut pour la révision historique : IHR), basé à Los Angeles, financé par Willis Carto et dirigé par un ancien officier membre du Front national britannique, William David McCalden. L'IHR, qui avait accès à la principale revue publiée par Carto, The Spotlight, et à Noontide Press, créa bientôt sa propre revue, Journal of Historical Review, et une maison d'édition. En outre, en 1979, l'IHR lançait des colloques scientifiques, appelés Conventions internationales révisionnistes, pour réunir et coordonner les activités des négationnistes du monde entier.
Cette capacité de concertation trouva son expression concrète dans les années 1980, avec l'affaire Ernst Zundel. Pronazi ardent, cet immigré allemand installé au Canada fut accusé d'encourager l'intolérance sociale et raciale dans les ouvrages publiés par sa maison d'édition, Samisdat Press.¨Au cours de son premier procès, l'IHR assura sa défense par l'intermédiaire de l'avocat Douglas Christie et d'un témoin expert, le négationniste français Robert Faurrisson. Zundel fut condamné à 15 mois de prison ferme, mais gagna en appel sur des points de procédure.
David Irving
Un second procès eut lieu en 1988. Christie et Faurisson firent appel à un autre expert, l'historien britannique David Irving, négationniste notoire. Ensemble, ils élaborèrent une stratégie qui reposait sur le principe de preuves scientifiques que Butz avait déjà mis en oeuvre.
Ils recrutèrent donc un certain Fred A.Leuchter, qui se présenta comme ingénieur spécialisé dans le fonctionnement des chambres à gaz travaillant comme consultant avec les pénitenciers américains dans la construction et l'installation de systèmes d'exécution.
Fred A.Leuchter
Ayant visité Auschwitz-Birkenau et Majdanek, Leuchter soumis un rapport détaillé selon lequel il était chimiquement et physiquement impossible que les Allemands eussent procédé à des gazages dans ces camps. Il apparut rapidement que Leuchter était un imposteur, sans aucune formation d'ingénieur (tout au plus avait-il une licence d'histoire) ; ses recherches furent réfutées sans difficulté. Zundel fut de nouveau condamné à 15 mois de prison, et de nouveau, la sentence fut suspendue pour des raisons de procédure. Mais les découvertes de Leuchter avaient fait sensation dans les médias à travers le monde et l'IHR lança immédiatement une campagne d'information pour profiter au maximum de ce premier succès médiatique.
L'Institut fit appel à un publicitaire californien, Bradley Smith, qui recycla les thèses discréditées de Leuchter afin de les faire passer pour l'essence même de la recherche scientifique, ou du moins pour une hypothèse plausible ; des encarts publicitaires dans les revues universitaires en assurèrent la diffusion. C'est ainsi qu'en 1992 l'IHR avait réussi à sortir les inventions sordides des négationnistes d'une marginalité délirante pour les replacer dans le contexte bien plus légitimant du débat scientifique et du droit à la liberté d'expression.
Le travail de Deborah Lipstad sur le négationnisme
Deborah Lipstadt
C'est ici qu'entre en scène Deborah Lipstadt, professeur d'études modernes sur le judaïsme et l'Holocauste à l'université Emery. Elle a été l'une des premières à analyser le négationnisme en profondeur et à le réfuter. Son ouvrage Denying the Holocaust : The Growing Assault on Truth and Memory (La négation de l'holocauste : un défi grandissant contre la vérité et la mémoire) cherche non seulement à confondre les arguments des négationnistes, mais aussi à replacer leurs activités dans un contexte sociopolitique plus vaste, où elles trouvent un champ d'action potentiellement important.
Lipstad s'attache à fournir des informations qui réfutent systématiquement la désinformation délibérée qui a donné un vernis superficiel de plausibilité au discours négationniste. Quand Lipstadt se penche sur les postulats pseudo-scientifiques de Butz, de Faurisson ou de Leuchter, pour ne citer qu'eux, la quantité et la qualité des documents et des preuves techniques qu'elle accumule sont véritablement impressionnantes. Elle démonte point par point chacun de leurs postulats, par exemple, que le zyklon-B n'aurait été qu'un produit chimique utilisé contre les poux et non pour exterminer des êtres humains, que les chambres à gaz d'Auschwitz et d'ailleurs étaient mal conçues pour remplir la tâche qu'on leur attribue, ou que les fours crématoires auraient été insuffisants pour traiter le nombre de cadavres allégué par les historiens officiels.
Robert Faurisson
Au-delà de leur utilité et de leurs mises au point précieuses, les réponses de Lipstadt constituent une méthodologie antirévisionniste de premier ordre. Les négationnistes ne sont pas tous aussi réducteurs que ceux qui nient tout en bloc, comme Butz, Faurisson, Leuchter, Carto, Irving ou Zundel. D'autres, poursuit-elle, cherchent à minimiser les faits, en construisant leurs arguments sur des sophismes qui cherchent à démontrer que l'horreur de la Shoah était en deçà de ce qui a été avancé. Rassinier, Barnes, Hoggan, App, mêlent données historiques et mensonges, et avancent des comparaisons pseudo-morales. Ainsi, selon eux, le centre d'extermination nazi d'Auschwitz ne serait pas si différent des camps de concentration de Dachau ; Dachau ne serait pas si différent du camp de Manzanar, où le gouvernement américain fit interner des Américains d'origine japonaise pendant la guerre. Donc, concluent ces négationnistes, le traitement nazi infligé aux Intermenschen (sous-humains) n'auraient pas (été) pire que le sort réservé par les Américains à leur minorité japonaise. C'est ce que Lipstadt appelle procéder par équivalences immorales.
Arthur Butz
Outre les arguments réducteurs de Rassinier ou de Butz, c'est aux symptômes négationnistes plus diffus, institutionnalisés, et très répandus qu'il faut s'attaquer si nous voulons un jour éradiquer les implications inacceptables du négationniste. Ce que la négation de la Shoah démontre avant tout, souligne Lipstadt, c'est la fragilité de la mémoire, de la vérité, de la raison, de l'histoire.
Chacune de ces valeurs doit être réaffirmée et renforcée, comme autant de barrières sociétales permettant de prévenir ce qui, ayant été nié, donc oublié, redevient possible. Quand nous sommes témoins d'atteintes à la vérité, nous nous devons de réagir avec fermeté, sans recourir à la polémique ni aux sentiments. Nous devons informer le grand public et les milieux universitaires et intellectuels, les mettre en garde contre ce danger, contre ces racines historiques et idéologiques. Nous devons dénoncer ces individus pour ce qu'ils sont.
Ward Churchill. Pages 402,403,404,405. Le livre noir de l'humanité. Encyclopédie mondiale des génocides. Éditions Privat. 2001.