CONFÉRENCE D'ÉVIAN ET NUIT DE CRISTAL
L'année 1938 est marquée par deux événements significatifs : la conférence d'Évian et la Nuit de Cristal. L'échec de la conférence réunissant à Évian en juillet, sur l'initiative du président Roosevelt, les délégués de 29 pays pour traiter de l'accueil des Juifs émigrés, convainc Hitler qu'aucune grande puissance n'est prête à recevoir les Juifs du Reich. La violence organisée de la Nuit de Cristal -9-10 novembre-, désapprouvée par une majorité de la population allemande et même par certains dirigeants nazis, l'amène à renoncer définitivement à la politique des pogroms et à organiser une solution administrative du problème juif. Le 24 janvier 1939, Goering crée sur le modèle de Vienne l'Office central pour l'émigration juive que dirige Heydrich. En 1938-1939, environ 120 000 juifs quittent l'Allemagne. C'est Heydrich qui dirige la nouvelle structure créée le 25 septembre 1939, l'Office de sécurité du Reich -RSHA- qui réunit en une seule organisation dépendant de la SS un organe du Parti, le SD (police de sécurité allemande), et un organe de l'État, la police de sécurité, dont dépend la Gestapo.
Hitler au Reichstag le 30 janvier 1939
Le 30 janvier 1939, jour anniversaire de la prise du pouvoir, et comme chaque année depuis, Hitler s'adresse au Reichstag. Sur un discours de plusieurs heures, il consacre quelques minutes aux juifs. Il déclare en particulier : Aujourd'hui, je serai encore prophète : si la finance juive internationale en Europe et hors d'Europe devait parvenir encore une fois à précipiter les peuples dans une guerre mondiale, alors le résultat ne serait pas la bolchevisation du monde, donc la victoire du judaïsme, au contraire, ce serait l'anéantissement de la race juive en Europe. Si l'on prend cette prophétie au pied de la lettre, on établit un lien direct entre la guerre et le génocide juif. Elle ne fut alors interprétée ainsi ni par le peuple allemand ni par les observateurs étrangers. On peut toutefois tirer de ce fragment de discours deux conclusions : si Hitler n'a en 1939 aucun projet précis, il associe cette menace à l'éclatement d'une guerre qu'il sait proche ; si son programme de conquête est mis en péril, les Juifs d'Europe seront anéantis. Toutefois, dès la fin de 1938, une poignée de fanatiques étudiaient déjà la possibilité d'exterminer les Juifs du Reich. (1)
Mais revenons en 1938, Hitler déplore qu'une fraction seulement des 500 000 juifs allemands aient émigré malgré les brimades et les lois antisémites, sources d'incessants tracas. Il veut accélérer le mouvement pour que le Reich devienne enfin judenrein (sans aucun juif).
1- L' Etat criminel. Les Génocides du XXe siècle. Yves Ternon. Seuil. 1995
ASSASSINAT A L' AMBASSADE D'ALLEMAGNE A PARIS
Avec l'aide de Dieu [...]. Je ne pouvais agir autrement. Mon coeur saigne quand je pense à notre tragédie [...]. Je dois exprimer ma révolte de telle sorte que le monde entier l'entende , et je compte le faire. Je vous supplie de me pardonner. - Lettre de Herschel Grynszpan à son oncle, 7 novembre 1938.
Herschel Grynszpan, le 7 novembre 1938, après son arrestation
L'occasion d'instrumentaliser la situation va se présenter. Le 7 novembre 1938, un jeune juif polonais d'origine allemande -âgé seulement de 17 ans- Herschel Feidel Grynszpan, vient d'apprendre que sa famille résidant à Hanovre a été expulsée, quelques jours auparavant, d'Allemagne vers la Pologne, bouleversé il décide d'accomplir un acte qui exprimera toute sa révolte et, du moins le pensait-il, aurait un écho mobilisateur auprès de la communauté internationale. Malheureusement, il n'en fut rien, seule l'Allemagne s'en saisit et déclencha un pogrom dit de la nuit de cristal, au cour duquel des centaines de juifs furent tués, de nombreuses synagogues et lieux de culte détruits, des milliers de commerces saccagés !
Herschel Grynszpan, achète un pistolet,puis se rend à l'Ambassade d'Allemagne à Paris, demande à être reçu par un responsable et assassineun secrétaire de l'ambassade, Ernst vom Rath. Resté sur les lieux de l'attentat, sans même chercher à s'échapper, Herschel Grynszpan est arrêté puis remis entre les mains de la police française avant d'être conduit au commissariat de police. Curieusement, les autorités nazies ne réagissent pas le jour même et ne prononcent aucune déclaration publique, mais elles semblent préparées une riposte disproportionnée qui se parera des simulacres d'une réaction spontanée du peuple allemand.
Il faut préciser que vom Rath n'est pas mort lors de l'attentat, mais décédera deux jours après -le 9 novembre au soir- et dès le 8 novembre 1938 Joseph Goebbels, ministre allemand de la propagande, encourage les premiers pogroms menés dans différentes villes -Hanovre, Munich...- par des responsables locaux du parti nazi. Il faudra attendre l'annonce du décès de vom Rath, dans la soirée du 9 novembre, pour que Joseph Goebbels dénonce avec virulence un complot juif contre l'Allemagne !
Joseph Goebbels
Hitler, qui avait envoyé son médecin personnel ainsi qu'un grand professeur de Munich au chevet du secrétaire d'ambassade (élevé au rang de conseiller afin que cet acte paraisse d'emblée plus politique et qu'il puisse être instrumentalisé par une propagande meurtrière), apprend la nouvelle alors qu'il participe à Munich au dîner traditionnel des compagnons de combat, la veille garde du parti. Ce soir là, contrairement aux habitudes, Hitler quitte cette réunion sans avoir prononcé son discours de clôture, ni sans avoir évoqué l'assassinat de vom Rath, il déclare seulement Il faut laisser le champ libre aux SA ; cependant Goebbels, que l'on vit longuement conversé avec le Führer, s'en chargera dans un discours bref mais incendiaire, incitant les émeutes anti-juives à redoubler de violence, encourageant le parti à organiser et exécuter l'affaire sans paraître ouvertement y être engagé.
Dans son journal du 10 novembre 1938 il écrit : «Je présente les faits au Führer. Il décide: laisser les manifestations se poursuivre. Retirer la police. Les Juifs doivent sentir pour une fois la colère de peuple. C'est justice. Je donne aussitôt les consignes correspondantes à la police et au Parti. Puis je fais un bref discours en conséquence devant les dirigeants du Parti. Tempêtes d'applaudissements. Tout le monde se précipite immédiatement sur les téléphones. Maintenant, c'est le peuple qui va agir.»
LA NUIT DE CRISTAL
Au soir du 9 novembre 1938, -début de la nuit de cristal (kristallnacht en allemand, en référence aux milliers de vitrines et fenêtres brisées) la colère populaire spontanée invoquée par les responsables nazis, investie les rues des grands villes allemandes semant sur leur passage, ruine et désolation. L'orchestration du carnage a été soigneusement planifiée et l'on peut voir dès 22 heures, les chefs régionaux de la SA, galvanisés par Goebbels, donner par téléphone les ordres à leurs troupes -beaucoup seront habillés en civil afin de masquer la manipulation- qui vont généraliser les interventions, allumant incendies, détruisant les magasins, -l'identification est aisée car une ordonnance a exigé que le nom du propriétaire soit peint sur la vitrine en grandes lettres- tuant ou violentant au coeur de cette nuit sinistre qui augurait l'ère des persécutions futures.
© afp | La vitrine d'un magasin tenu par des commerçants juifs dévalisés par les Nazis, photographie datée du 10 novembre 1938
Puis, peu avant minuit, Henrich Müller, chef de la Gestapo, enjoint les forces de police de ne pas s'interposer, ni de protéger les victimes juives, laissant le champ libre à la fureur destructrice. Ordre est également donné de procéder massivement aux arrestations -plus de 20 000 juifs-, de préférence fortunés, qui sera suivi vers une heure du matin par un télex de Reinhard Heydrich adressé à la police et au SD dans lequel il insiste sur la nécessité de protéger la vie et les biens des allemands qui auraient pu subir des dommages lors des incendies et autres destructions ayant lieu à proximité.
Par contre il autorise et encourage vivement la destruction des appartements et des commerces -sans toutefois les piller !- appartenant aux juifs et de procéder aux arrestations de ces ennemis de l'intérieur. Vers 3 h du matin, c'est au tour de Rudolf Hess de donner ses consignes.
Du Nord au Sud de l'Allemagne, les hordes brunes s'abattent sur les synagogues, maisons communautaires, asiles de vieillards, hôpitaux juifs, maisons d'enfants, logements privés et magasins juifs. Partout le scénario est identique. La préméditation autant que l'orchestration sont manifestes, l'acte d' Herschel Grynszpan servira de déclencheur à ce pogrom d'envergure qui constituait le premier acte du processus d'extermination des populations juives européennes.
Ainsi, au terme de ces deux jours -9 et 10 novembre 1938-, sur tout le territoire du Reich, le bilan des exactions est impressionnant : plus de 600 synagogues et lieux de cultes détruits, plus de 7000 commerces et entreprises exploités par les juifs saccagés ; une centaine de Juifs furent assassinés, des centaines d'autres se suicidèrent ou moururent suite à leurs blessures et près de 30 000 furent déportés dans les camps de concentration (préparés depuis plusieurs mois à réceptionner un afflux massif et soudain de prisonniers) : au total, terrible bilan, le pogrom et les déportations qui suivirent causèrent la mort de 2000 à 2500 personnes.
En provoquant cette première grande manifestation de violence antisémite, les nazis voulurent accélérer l'émigration des Juifs, jugée trop lente, en dépit de la politique de persécution et d'exclusion mise en œuvre depuis février 1933. L'objectif fut atteint : le nombre de candidats à l'émigration crût considérablement, mais au-delà de l'indignation que l'évènement suscita dans le monde, les frontières des autres pays restèrent fermées
TÉMOIGNAGES DE VICTIMES
D. Golly qui a seize ans et vit alors à Brême, se souvient de cette nuit d'horreur
Nous nous étions couchés tôt. Moi et ma
famille, nous dormions tous les quatre quand nous avons entendu
frapper à la porte d'entrée. Frapper violemment. Mon père a dévalé
l'escalier, il a ouvert la porte devant laquelle se tenaient deux
nazis en uniforme brun. «Dis à ta famille de s'habiller rapidement,
vous venez avec nous.
Dépêchez-vous ! » Nous n'avions pas le
choix. Nous nous sommes habillés en vitesse, et les deux soldats
nous ont conduits dans une salle d'une caserne du centre-ville. En
entrant, nous avons réalisé que tous les Juifs de la ville avaient
été raflés et emmenés dans cette salle. Personne ne savait pourquoi.
Personne ne savait ce qui allait se passer.
Ils nous ont laissés sur nos chaises
pendant des heures, des heures d'affilée, jusqu'à ce que finalement
ils séparent les femmes des hommes et qu'ils emmènent les hommes.
Nous ne savions pas où ils allaient, Ils ont emmené mon père et mon
frère.
Au matin, ma mère et moi, et toutes les
femmes avons été autorisées à rentrer chez nous. C'est là que nous
avons découvert ce qui s'était passé pendant la nuit, pendant que
nous étions enfermées dans la salle. Les Chemises brunes avaient
brisé toutes les vitrines des commerces juifs, forcé les maisons et
les appartements juifs, cassant tout ce qu'ils pouvaient.
L'affaire de mon père fut dévastée cette
nuit-là. Et évidemment notre synagogue fut incendiée. Le jour
d'après, sans me douter de rien, je suis retournée à l'école,
c'était le lendemain de la Kristallnacht. J'ai monté l'escalier pour
rejoindre ma classe et j'ai croisé par hasard mon professeur
principal, M. Koch, qui s'est approché et m'a dit, l'air vraiment
attristé : «Mlle Golly, je suis profondément désolé, mais les Juifs
ne doivent plus venir en cours.» Je n'avais pas d'autre choix que de
m'en aller. Je suis rentrée à la maison la tête baissée, tous mes
projets d'avenir venaient de voler en éclats.
A Elberstadt, dans le Württemberg, Adolf Heinrich Frey chef des SA exécute froidement Susanne Stern, une veuve âgée de 81 ans qui refuse de le suivre.
J'ai frappé à la porte… et j'ai demandé à Stern de s'habiller… elle
s'est assise sur le canapé. Quand je lui ai demandé si elle avait
l'intention de suivre mes instructions et de s'habiller, elle a
répondu qu'elle ne s'habillerait pas et ne viendrait pas avec nous.
Nous pouvions faire ce que nous voulions je ne quitterai pas ma
maison, je suis une vieille femme. J'ai sorti mon arme de service
de ma poche et j'ai appelé la femme encore cinq ou six fois à se
lever et à s'habiller. Stern a crié haut et fort dans mon visage
avec mépris et l'insolence : je ne me lèverai pas et je ne
m'habillerai pas. Au moment où elle a crié faite de moi ce que
vous voulez, j'ai ôté la sécurité de mon arme et tiré une fois…
Stern s'est effondrée sur le canapé.
Elle s'est penchée en arrière et a porté ses mains à sa poitrine.
J'ai alors tiré une deuxième fois, en visant la tête.
Dans sa déposition, il précise qu'elle est tombée du canapé et a
roulé par terre, émettant par moments un râle. Ne voyant pas de
raison de rester plus longtemps dans la maison, il a néanmoins tiré
une dernière balle au milieu du front, à une distance d'environ dix
centimètres; pour s'assurer qu'elle était bien morte. Sur quoi, il a
fermé la maison à clé et fait son rapport.
Conversations DE DIGNITAIRES nazis après la nuit de cristal
Goebbels
GoeringHeydrich
Goebbels
: « ... Dans presque toutes les villes allemandes, les
synagogues ont été incendiées. On peut utiliser des manières les
plus diverses les terrains sur lesquels elles se trouvaient.
Certaines villes veulent en faire des jardins, d'autres veulent y
construire. »
Goering : « Combien de synagogues ont été
incendiées ? »
Heydrich : « 101 synagogues ont été
incendiées, 76 ont été démolies, 7 500 commerces ont été détruits.
»
Goebbels : « Je suis d'avis que cela nous
donne l'occasion de dissoudre les synagogues. Toutes celles qui ne
sont pas entièrement intactes doivent être démolies par les Juifs
eux-mêmes. Les Juifs doivent payer ce travail. Ici à Berlin, ils y
sont prêts. Les synagogues incendiées à Berlin seront rasées par
les soins des Juifs. Ce devrait devenir le principe directeur pour
le Reich en son entier.
« De plus, j'estime nécessaire de publier une ordonnance
interdisant aux Juifs de fréquenter les théâtres, les cinémas et
les cirques allemands. La situation actuelle nous le permet. Les
théâtres sont remplis de toute manière ; c'est à peine si on y
trouve de la place. Je suis d'avis qu'il n'est pas possible de
permettre aux Juifs de s'asseoir aux côtés des Allemands dans les
salles. Par la suite on pourrait peut-être mettre à leur
disposition un ou deux cinémas, où ils présenteraient des films
juifs. Mais ils n'ont rien à chercher dans les théâtres allemands.
« De plus, il faut qu'ils disparaissent partout de la circulation
publique, car ils exercent un effet provocateur. Il est par
exemple encore possible aujourd'hui qu'un Juif utilise le même
compartiment de wagon-lit qu'un Allemand. Une ordonnance devrait
être publiée par le ministre des Communications, introduisant des
compartiments pour les Juifs, qui ne seraient mis à leur
disposition que lorsque tous les Allemands sont assis, et sans
qu'ils puissent se mélanger à eux. S'il n'y a pas assez de place,
ils doivent rester debout dans le couloir. »
Goering : « Je trouve plus raisonnable de leur
donner des compartiments spéciaux. »
Goebbels : « Pas quand le train est rempli. »
Goering : « Un moment ! Il n'y aura qu'un seul
compartiment juif. S'il est rempli, les autres Juifs doivent
rester chez eux. »
Goebbels : « Et si, mettons dans le rapide de
Munich, il n'y a pas assez de Juifs : il y a deux Juifs dans le
train, et les autres compartiments sont remplis. Ces deux Juifs
ont alors un compartiment spécial à eux deux. Il faut donc dire :
les Juifs ne peuvent s'asseoir que lorsque tous les Allemands sont
assis. »
Goering : « Ce n'est pas la peine de le dire
expressément. Si vraiment le train est rempli comme vous le dites,
croyez-moi, je n'ai pas besoin d'une loi. Le Juif sera f... à la
porte, il n'aura qu'à s'asseoir tout seul dans les ch... pendant
tout le voyage. »
Goebbels : « Une autre ordonnance doit
interdire aux Juifs la visite des villes d'eaux, plages et
stations estivales allemandes... Je me demande s'il n'est pas
nécessaire d'interdire aux Juifs l'accès de la forêt allemande
[...] »
Goering : « Bien, nous mettrons à la
disposition des Juifs une certaine partie de la forêt. On prendra
soin d'y faire venir les différents animaux qui ressemblent
bougrement aux Juifs, le cerf a également un nez bien crochu. »
Goebbels : « Ensuite, il ne faut pas que les
Juifs puissent se pavaner dans les jardins allemands. A ce propos,
je signale la propagande chuchotée des Juives dans les jardins du
Fehrbelliner Platz. Il existe des Juifs qui n'ont pas tellement
l'air juif. Ils s'assoient à côté des mères allemandes et des
enfants allemands et commencent à rouspéter et à empester
l'atmosphère. »
Goering : « Ils ne disent pas du tout qu'ils
sont Juifs. »
Goebbels : « J'y vois un danger tout
particulièrement grave. J'estime nécessaire de mettre à la
disposition des Juifs certains squares -sûrement pas les plus
beaux- et de dire : les Juifs ont le droit de s'asseoir sur ces
bancs. Ceux-ci sont marqués d'une manière spéciale. Il est écrit
dessus : pour les Juifs seulement ! Autrement ils n'ont rien à
chercher dans les jardins allemands.
« Finalement il faut s'occuper de ceci : il se présente
aujourd'hui encore des cas où les enfants juifs vont dans les
écoles allemandes. J'estime qu'il est impossible que mon garçon
soit assis à côté d'un Juif dans un lycée allemand et se voie
enseigner l'histoire allemande. Il est absolument indispensable
d'éloigner les Juifs des écoles allemandes, et de les laisser se
charger eux-mêmes d'élever dans leurs communautés leurs
enfants. »