LA SÉLECTION À AUSCHWITZ - BIRKENAU

À partir de l'été 1942, les Juifs déportés à Auschwitz sont soumis, dans le cadre de la Solution finale à un traitement spécial dont les modalités se répètent à l'arrivée de chaque convoi.

Tout commence par la sélection. À l'origine, elle avait lieu sur la Judenrampe, un quai qui se trouvait entre le camp d'Auschwitz I et celui de Birkenau.

Au printemps 1944, une nouvelle rampe a été mise en service au plus près des fours Krematorium, à l'intérieur même du camp d’extermination.

Généralement, les convois ferroviaires mettaient plusieurs jours pour atteindre Auschwitz. Hommes, femmes et enfants étaient entassés dans les pires conditions dans des wagons de marchandises. Certains n'arrivaient pas au bout du voyage, d'autres perdaient la raison.

Dès leur descente du train, les déportés devaient laisser leurs affaires sur le quai et se répartir en deux colonnes : d'un côté, les hommes et de l'autre, les femmes et les enfants de moins de 16 ans. La sélection était le plus souvent effectuée par un médecin SS. Elle commençait par le groupe le plus important, celui des femmes et des enfants. Ceux qui étaient jugés ”inaptes” au travail (enfants de moins de 16 ans, mères avec leurs jeunes enfants ou femmes visiblement enceintes, vieillards, infirmes) étaient immédiatement dirigés vers les chambres à gaz. Les autres, moins nombreux (environ 20% du convoi), étaient conduits au Zentralsauna pour la procédure d'admission au camp. Là, ils étaient tondus, douchés et désinfectés. Puis on leur remettait au hasard des vêtements usagés récupérés dans les bagages de leurs prédécesseurs.

À partir de 1942, leur enregistrement s'achevait par le tatouage d'un matricule sur l'avant-bras. Après une période de quarantaine, ils étaient affectés à une équipe de travail à Birkenau ou transférés à Monowitz ou dans un autre secteur du complexe d'Auschwitz. Étant voués à l'anéantissement par le travail, leur existence n'était qu'en sursis.

Sélection des déportés à Auschwitz - Birkenau

La sélection

En raison de la personnalité de son auteur, La Nuit d'Elie Wiesel est, parmi les récits consacrés à la Shoah, l'un des plus célèbres. Le livre, paru en 1958 et préfacé par François Mauriac, raconte l'odyssée tragique de la famille d'Elie Wiesel : arrachée au printemps 1944 à son existence tranquille dans la petite ville de Sighet en Transylvanie, elle fait partie d'un convoi qui l'emmène à Auschwitz - Birkenau dans le cadre de la grande déportation des Juifs de Hongrie (la Transylvanie roumaine, où Elie Wiesel est né en 1929, a été rattachée à la Hongrie en 1940 ).

Les objets chers que nous avions traînés jusqu'ici restèrent dans le wagon et avec eux, enfin, nos illusions.

Tous les deux mètres, un SS la mitraillette braquée sur nous. La main dans la main, nous suivions la masse.

Un gradé SS, vint à notre rencontre, une matraque à la main. Il ordonna :

- Hommes à gauche ! femmes à droite !

Quatre mots dits tranquillement, indifféremment, sans émotion. Quatre mots simples, brefs. C'est l'instant pourtant où je quittai ma mère. Je n'avais pas eu le temps de penser, que déjà je sentais la pression de la main de mon père : nous restions seuls. En une fraction de seconde, je pus voir ma mère, mes soeurs, partir vers la droite. Tzipora tenait la main de Maman. Je les vis s'éloigner ; ma mère caressait les cheveux blonds de ma soeur, comme pour la la protéger et moi, je continuais à marcher avec mon père, avec les hommes. Et je ne savais point qu'en ce lieu , en cet instant, je quittais ma mère et Tzipora pour toujours. Je continuai de marcher. Mon père me tenait par la main.

Derrière moi, un vieillard s'écroula. Près de lui, un SS rengainait son revolver.

Ma main se crispait au bras de mon père. Une seule pensée : ne pas le perdre. Ne pas rester seul.

Les officiers SS nous ordonnèrent :

- En rang par cinq.

Un tumulte. Il fallait absolument rester ensemble.

- Hé, le gosse, quel âge as-tu ?

C'était un détenu qui m'interrogeait. Je ne voyais pas son visage, mais sa voix était lasse et chaude.

- Pas encore quinze ans.

- Non. Dix-huit.

- Mais non, repris-je. Quinze.

- Espèce d'idiot. Écoute ce que moi je te dis.

Puis il interrogea mon père, qui répondit :

- Cinquante ans.

Plus furieux encore, l'autre reprit :

- Non, pas cinquante ans. Quarante. Vous entendez ? Dix-huit et quarante.

Il disparut avec les ombres de la nuit. Un deuxième arriva, les lèvres chargées de jurons :

- Fils de chiens, pourquoi êtes-vous venus ? Hein, pourquoi ?

Quelqu'un osa lui répondre :

- Qu'est-ce que vous croyez ? Que c'est pour notre plaisir ? Que nous avons demandé à venir ?

Un peu plus, l'autre l'aurait tué :

- Tais- toi, fils de porc, ou je t'écrase sur place ! Vous auriez dû vous pendre là où vous étiez plutôt que de venir ici. Ne saviez-vous donc pas ce qui se préparait, ici, à Auschwitz ? Vous ignoriez cela ? En 1944 ?

Oui, nous l'ignorions. Personne ne nous l'avait dit. Il n'en croyait pas ses oreilles. Son ton se fit de plus en plus brutal.

Vous voyez, là-bas, la cheminée ? La voyez-vous ? Les flammes, les voyez-vous ? (Oui, nous les voyions, les flammes). Là-bas, c'est là-bas qu'on vous conduira. C'est là-bas, votre tombe. Vous n'avez pas encore compris ? Fils de chiens, vous ne comprenez donc rien ? On va vous brûler ! Vous calciner ! Vous réduire en cendres !

Sa fureur devenait hystérique. Nous demeurions immobiles, pétrifiés. Tout cela n'était-il pas un cauchemar ? Un cauchemar inimaginable ?

(...)

Nous continuâmes de marcher jusqu'à un carrefour. Au centre se tenait le docteur Mengele, ce fameux docteur Mengele (officier SS typique, visage cruel, non dépourvu d'intelligence, monocle), une baguette de chef d'orchestre à la main, au milieu d'autres officiers. La baguette se mouvait sans trêve, tantôt à droite, tantôt à gauche.

Déjà je me trouvais devant lui :

- Ton âge ? demanda-t-il sur un ton qui se voulait peut être paternel.

- Dix-huit ans. Ma voix tremblait.

- Bien portant ?

- Oui.

- Ton métier ?

Dire que j'étais étudiant ?

- Agriculteur, m'entendis-je prononcer.

Cette conversation n'avait pas duré plus de quelques secondes. Elle m'avait semblé une éternité.

La baguette vers la gauche. Je fis un demi-pas en avant. Je voulais voir d'abord où on enverrait mon père. Irait-il à droite, je l'aurais rattrapé.

La baguette, une fois encore, s'inclina pour lui vers la gauche. Un poids me tomba du coeur.

Nous ne savions pas encore quelle direction était la bonne, celle de gauche ou celle de droite, quel chemin conduisait au bagne et lequel au crématoire.

Source : Elie Wiesel. La Nuit, Éd. de Minuit, 1958.

La porte de la mort à Auschwitz - Birkenau

La sélection des jumeaux et des nains

Le laboratoire d'anatomie pathologique a été fondé sur l'initiative de mon chef Mengele et a été destiné à satisfaire ses ambitions de recherche médicale. Il vient d'être terminé il y a peine quelques jours. Il n'attendait qu'un médecin anatomiste pour commencer à fonctionner. Sur le territoire du KZ, il y a de vastes possibilités de recherches, d'une part pour l'exploration anatomo - pathologique des cas relativement nombreux de nanisme, de gigantisme et autres anomalies du développement humain.

L'abondance -nulle part égalée- des cadavres et le fait de pouvoir en disposer librement ouvre des horizons encore plus étendus à la recherche.

Je sais par expérience que les hôpitaux des grandes capitales arrivent à peine à fournir cent ou cent cinquante cadavres aux instituts de médecine légale et d'anatomie pathologique pour recherches. Le KZ d'Auschwitz dispose, lui, de cadavres dont la quantité peut se chiffrer par dizaines de milliers.

Toute personne qui a franchi le territoire du KZ est un candidat à la mort. Celui que sa chance a dirigé à gauche est transformé en cadavre par les chambres à gaz dans l'heure qui suit son arrivée. Plus malheureux est celui que l'adversité a dirigé à droite. Il mérite tout autant le qualificatif de candidat à la mort, avec la différence que durant trois ou quatre mois, tant qu'il peut les supporter, il doit subir toutes les horreurs du camp de concentration, jusqu'à ce qu'il s'écroule sous un travail de galérien. Il saigne par mille blessures. Il rugit de faim. Les yeux hagards, il traîne sur les champs de neige jusqu'à épuisement. Des chiens dressés harcèlent sa carcasse décharnée, et lorsque les poux ne trouvent plus de nourriture sur son corps desséché, arrive l'heure de la délivrance, la mort rédemptrice. De tous les nôtres, parents, frères et enfants, qui donc a le plus de chance ? Celui qui va à gauche ou celui qui va à droite ?

Elisabeth et Perla Moshkowitz, deux jumelles naines, ont survécu parce que Mengele s'intéressait à elles.

Dès l'arrivée des convois, des soldats parcourent les rangs devant les wagons, à la recherche des jumeaux et des nains. Les mères en espèrent un traitement de faveur et remettent sans hésitation leurs enfants jumeaux. Les adultes jumeaux savent qu'ils sont intéressants du point de vue scientifique ; dans l'espoir de conditions meilleures, ils se présentent volontairement. Il en va de même pour les nains.

On les sépare et ils sont tous dirigés vers la droite. On leur laisse leurs vêtements civils, des gardes les accompagnent dans des baraques spécialement désignées pour eux et où on leur réserve certains ménagements. La nourriture est bonne, les couchettes sont confortables. Il y a des possibilités d'hygiène et ils sont bien traités.

Ils sont dans la baraque 14 du camp F et c'est de là que les surveillants les emmènent dans la baraque d'expérimentation du camp tzigane déjà cité. C'est là que l'on effectue sur eux tous les examens médicaux que le corps humains est capable de supporter. Des prises de sang, des ponctions lombaires, des échanges de sang entre frères jumeaux, ainsi que d'innombrables examens, tous fatigants et déprimants. Dina, l'artiste peintre de Prague, exécuté les dessins comparatifs des crânes, pavillons auriculaires, nez, bouches, mains et pieds des jumeaux. Chaque dessin est classé dans le dossier préparé à cet effet et muni de caractéristiques individuelles ; et c'est là que vont également trouver place les rapports concernant les résultats des recherches. Le processus est le même pour les nains.

Source : Dr Miklos Nyiszli, Médecin à Auschwitz : souvenirs d'un médecin déporté, Paris, Julliard, 1961,

Sites à compulser rubrique Sites Shoah